Articles, idées, astuces de la pionnière de la parentalité positive en France, Catherine Dumonteil Kremer
12 Septembre 2007
Pourquoi utiliser des techniques et dans quel but ?
« Pourquoi donc utiliser des techniques pour parler à mes enfants, ne suis-je pas capable de m’exprimer tout simplement en fonction de l’amour que je leur porte et des objectifs familiaux que je me suis fixée ? »
Certainement, mais il y a un problème évident lorsque nos souffrances passées se mettent en travers de notre route, vous l’avez peut-être constaté : combien de fois avez-vous agit contre votre volonté ? Combien de paroles blessantes regrettées ? Combien de sentiments d’impuissance à se faire comprendre, à entendre la réalité de l’autre ?
Avez-vous été élevé par des parents qui vous écoutaient sans vous interrompre, qui acceptaient votre réalité telle qu’elle était formulée ?
Alors vous avez de la chance, tout cela sera bien plus simple à mettre en place pour vous.
Mais si ce n’est pas le cas, vous aurez tendance à avoir recours aux systèmes de manipulations que vos parents utilisaient sans s’en rendre compte : Punitions, récompenses, conseils non sollicités, culpabilisation, sermon, émotions parfois effrayantes et incontrôlables, coups, la liste pourrait être encore très longue, n’est-ce pas ?
Voici quelques questions pour vous :
· Savez-vous parler sans blâmer ? vous affirmer sans agressivité ? Dire non à quelqu’un que vous aimez ? écouter sans juger ? Savez-vous exprimer vos désaccords tout en prenant soin de votre interlocuteur, ou cherchez-vous à le blesser systématiquement ?
Savez-vous faire des choix importants ? Résoudre des problèmes ?
Avez vous peur des émotions des autres ? Et des vôtres?
Apprendre quelques éléments d’écoute active peut nous aider à gérer notre quotidien relationnel, à ne plus blesser nos enfants avec des paroles qui n’ont rien à voir avec la situation présente. A chaque fois que je prononce le mot « gérer », je pense à une ex colistière très active de la liste de discussion parents conscients qui s’élevait contre le fait de « gérer » ses relations. D’une certaine manière j’étais assez d’accord avec ce point de vue, mais la route est longue et j’ai appris que pour la majorité d’entre nous, les techniques de communication sont un précieux filet de sécurité, elles nous empêchent d’agir à partir de nos souffrances. Le chemin peut paraître interminable avant de pouvoir le retirer, c’est la thérapie qui permettra peu à peu au naturel humain aimant et bienveillant d’émerger. Cette partie de nous, celle qui n’a pas été déformée par l’éducation existe toujours, et utiliser la communication respectueuse nous donne la possibilité de nous connecter avec ce morceau parfois oublié de nous mêmes.
Pour moi le travail s’est fait dans deux directions, en surface je travaillais la communication, et en parallèle j’utilisais l’écoute des émotions pour mon travail personnel. Je peux témoigner qu’à un moment donné les choses se sont mise en place d’elles mêmes, mais la vie de parent nous réservant chaque jour de nouvelles occasions de travailler sur nous, il m’arrive encore très souvent de revenir de façon consciente et volontaire à l’outil que je connais qui fait partie de ma vie depuis longtemps.
les techniques de communication sont-elles manipulatrices ?
Avant de répondre à cette question jetons ensemble un œil sur la façon de communiquer de la majorité des personnes autour de nous. Le plus fort gagne, et tous les coups sont permis.
La victimisation, les jugements, l’autodénigrement, l’ironie, la mauvaise foi, les sous entendus sont rois, (cette liste n’est pas exhaustive) il s’agit d’amener l’interlocuteur à culpabiliser et à faire ce que nous voulons en ne disant parfois rien directement. Pour avoir une idée de ce qui se passe concrètement, le livre de Jean Jacques Crèvecœur « relations et jeux de pouvoir » (éditions jouvence) est très éloquent.
Manipulatrices elles peuvent l’être ou le devenir, quand on a une attente permanente, par exemple. Si le but de notre écoute est de faire obéir notre enfant systématiquement, l’usage que l’on fera des techniques va devenir manipulateur. Il n’y aura aucun progrès. De l’extérieur la situation aura changé, mais si on regarde en profondeur, c’est le système de soumission qui sera à l’œuvre.
De même si nous utilisons l’écoute dans le but de ne pas combler les besoins des êtres autour de nous, ces techniques peuvent devenir un mur pour l’autre qui ne se sent absolument pas légitime dans l’expression de ses besoins.
Imaginez un peu, un sans abri qui a faim et ce message : « Vous vous sentez affamé monsieur "» je grossis le trait mais je crois que vous comprenez ce que je veux dire.
L’enfant d’ailleurs ne s’y trompe pas, quand son parent agit sans amour, parle comme un magnétophone, essaie de coller à ce qu’il a appris sans être vraiment présent, il le ressent et il l’exprime ! Avec les adultes qui vous entourent vous pourriez avoir le même objectif les écouter avec amour et respect, sans idée préconçue, sans destination connue de vous seul à l’avance. Si vous souhaitez conduire quelqu’un, vous ne faites plus de l’écoute.
Ce serait peut-être une erreur de dire que nous n’avons aucune attente pour nos enfants, nous voulons la plupart du temps une bonne vie pour eux, contribuer à leur bien être, à leur épanouissement.
Il nous arrivera sans doute d’écouter dans le but de faire évoluer une situation complexe, dangereuse, quand un enfant est devenu toxicomane par exemple, ou qu’il se met systématiquement en danger, quand il ne sait plus ou il en est sur le plan scolaire, qu’il a perdu un ami, (faites une liste de ce qui peut vous arriver de difficile dans votre vie, et appliquez-là à votre enfant, il souffre très souvent des mêmes évènements.) Mais si notre attente est prépondérante sur le désir de comprendre, et d’être relié, notre enfant ne se sentira pas compris et accepté tel qu’il est. Il se sentira culpabilisé, le rapprochement attendu n’aura pas lieu.
Nous avons sûrement une philosophie de vie, qui nous est propre, nous avons envie de la partager. Elle sera d’autant mieux entendu par les autres s’ils ne se sentent pas sous pression et obligés de faire comme nous. Les « tu devrais », « il faut absolument que » peuvent entraîner une grande résistance de la part de nos interlocuteurs.
Mais alors est-ce que ça marche ?
Pour répondre à cette question, il faudrait presque revenir au paragraphe précédent. Oui ça marche, pour ce qui est de se connecter aux autres et à soi. Cette manière d’être nous permet de nous ouvrir à la souffrance de notre interlocuteur sans « réagir », « projeter » notre propre histoire, nos « bonnes idées », nos solutions.
Cela peut nous apprendre à lâcher les intentions de départ, le seul objectif quand on écoute c’est d’accepter l’autre, d’accueillir ce qu’il dit. C’est peu et c’est énorme, les individus que je connais sont avides de cette acceptation dénuée de jugements, d’évaluations, de conseils, de critiques, c’est un endroit où l’être est bienvenue, ou l’image sociale n’a rien à faire. On ne craint plus de ne pas être pertinent, on se contente d’être, de laisser couler ce qui vient en toute sécurité.
J’entends parfois des parents se désespérer : « j’écoute son besoin de ne pas dormir, je lui affirme le mien et il ne dort pas pour autant. »
L’écoute produit la compréhension, et la proximité, elle amène la confiance, mais elle n’amènera pas un bébé à faire ce qui nous arrange.
Par contre, parler avec un autre adulte de nos besoins de sommeil, essayer de trouver une façon de survivre au manque de sommeil, s’engager vis à vis de soi même à trouver une solution, ça peut être très efficace !
Ça fonctionne oui, très bien, si l’objectif est de se connecter à l’autre, de lui montrer de la compréhension, de l’aider à prendre du recul sur sa situation.
Avec les petits notamment il y a mille autre manière de se connecter, d’écouter, de comprendre, dans le silence ! Cela fera sûrement l’objet d’un autre dossier.
Cela dit, les enfants petits s’imprègnent de votre façon d’être avec les autres adultes, et vous serez surpris de voir à quel point ils savent à un certain âge écouter sans avoir appris.
Ecouter et s’affirmer : les deux mamelles de la communication respectueuse.
Pour moi les deux blocs fondamentaux de la communication interpersonnelle sont l’écoute, l’acceptation, l’accueil, et l’affirmation de soi où l’on parle de soi, de ses sentiments, de ses idées, de ses projets, de ses limites…
Quand on y regarde de près ce système est sans concession aucune pour nous mêmes. Il s’agit de prendre la responsabilité de nos sentiments, de nos actions, de nos paroles, et enfin de notre vie. L’écoute demande parfois beaucoup de travail sur nous mêmes, tant nous sommes quelquefois prompts à affirmer nos désaccords avant d’avoir montré de la compréhension à l’autre.
Le message d’écoute est comme une passerelle vers celui qui s’exprime. « Je t’ai compris » voilà ce qu’il établit clairement, ensuite vient l’affirmation de soi avec la manifestation d’un désaccord possible.
L’écoute nous apprend aussi à laisser l’autre prendre la responsabilité de ce qu’il affirme, de ce qu’il ressent, de ce qu’il vit.
On y apprend à abandonner l’idée d’avoir raison ou tort, chacun peut s’exprimer sans être jugé, la confrontation a lieu sur la base de ressentis, d’expériences différentes, de philosophie de vie incompatibles peut-être, pas sur des faits, et des raisons objectives. On abandonne la lutte en quelque sorte pour partager nos opinions, et nos ressentis, plutôt que de chercher à convaincre qu’ils constituent le seul choix possible.
On obtient enfin le droit à être soi même.
On s’ouvre à l’autre, à sa souffrance, et on finit par le comprendre et par se rapprocher de lui.
On ose enfin demander et même insister sachant que l’autre dira non sans hésiter s’il ne peut ou ne veut répondre à notre demande, qu’il exprimera un oui authentique s’il souhaite nous aider.
On finit par avoir une bien meilleure conscience de soi au bout du compte, à faire le tri entre ce qui vient de nos blessures passées ou présentes, et ce qui vient de notre être profond, celui qui est intact en nous.
L’écoute respectueuse : un choix volontaire.
C’est aux individus qu’il appartient de décider d’écouter, selon les circonstances, leur état interne, l’analyse de la situation, il ne s’agit nullement de se mettre en mode écoute en permanence. Ecouter alors qu’on n’en a nulle envie , écouter sans attention, sans amour, n’aura que peu d’effet sur la personne.
Nous pourrions commencer par être honnête avec nous mêmes : est-ce que je veux écouter, est-ce bien le moment pour moi, la situation présente-t-elle un caractère urgent ?
A nous de déterminer cela avec notre intelligence du cœur, à nous de l’exprimer sans craindre de perdre l’amour de l’autre…
Je voudrais conclure avec cette citation de Carl Rogers : « Etre vraiment soi même n’est pas une tâche pour personne timorée. Cela demande du courage. Cela implique de prendre des risques, de faire ses propres choix, d’opter pour ses propres valeurs. »
Catherine Dumonteil Kremer (Publié dans le journal "Ressources Parents" numéro cinq)
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